Une distraction, par pitié ! [Rhlyka Fontvielle x Sirius Leroy]

Début de semaine, une fin d'après-midi de cours comme les autres. Rien de spécial ne s’était produit aujourd’hui, ni hier, d’ailleurs…Je ne me plains pas de la routine, parce que peut-on réellement parler de routine lorsque l’on vit au manoir ? Et voir certains commencer à stresser à l’approche de la fin d’année me permet de relativiser. Ce qui ne m’a jamais empêché et ne m’empêchera jamais de me plaindre, que cela soit clair. Me plaindre fait partie de ma vie, ça aide beaucoup, il y a toujours une bonne raison et je qualifierais même ça de soutien psychologique. Mais, non, je n’envie vraiment pas les 8ème années qui doivent se préparer à affronter dans quelques semaines les examens les plus importants de leur vie. J’exagère à peine. De mon côté, l’idée de cette 8ème année et tout ce qu’elle implique –dernière année du second cycle, examens, l’obligation de faire un choix qui déterminera le reste de ma vie d’adulte…devenir un adulte ugh- tout ça me donne des sueurs froides. Donc autant ne pas y penser, n’est-ce pas ? Et ne pas penser à ce qui me gêne est l’une de mes spécialités.

Je ne suis honnêtement pas quelqu’un de difficile. Ma préférence allant pour les espaces ouverts, d’ordinaire je serais donc allé dans les jardins pour me changer les idées. Mais finalement, je vis là l’occasion d’honorer l’une de mes bonnes résolutions du weekend passé (et de chaque début d’année scolaire ET d’année civile…mais vous savez ce que c’est, la motivation, ça va, ça vient…).

Bref, une fois les cours terminés, me voilà parti en direction de la bibliothèque pour faire quelque chose que je fais rarement : débuter un devoir donné le jour même. Je sais très bien que je devrais plus souvent faire mes devoirs le plus tôt possible, idéalement le soir même où ils nous sont assignés. Il ne faut jamais remettre au lendemain ce qui peut être fait le jour même, ou quelque chose du genre…Malheureusement (ou heureusement, c’est sujet à débat), je suis le roi de la procrastination. Mon excuse principale est que je travaille beaucoup mieux au dernier moment, sous pression. La vérité c’est qu’il y a toujours mieux à faire que d’étudier et que j’ai un petit faible pour les longues heures passées à bosser sur un devoir à rendre le lendemain sur lequel j’aurais déjà dû travailler depuis une bonne semaine. La plupart du temps, ledit lendemain, après bien trop peu d’heures de sommeil, donne lieu à une journée où mes pensées alternent généralement entre deux modes, à savoir : « Qu’est-ce que mon lit me manque… » et « Mais POURQUOI je ne m’y suis pas pris plus tôt, sur cette saloperie de devoir ?! ». D’où ma bonne résolution.

Après avoir poussé les lourdes portes de la bibliothèque et peu gracieusement jeté mon sac sur l’une des tables libres près des grandes fenêtres du fond de la pièce, j’allai déambuler dans les allées pour…chercher un ouvrage qui pourrait m’aider dans mon devoir. D’accord, c’est faux. Si je marchais lentement en effleurant du bout des doigts tous les dos de livres qui passaient à ma portée, c’était surtout pour retarder l’inévitable moment où je devrais réellement me mettre à travailler. Bon, et si, par le plus grand des hasards, je tombais pile sur le livre qu’il me fallait, disons que ce serait un bonus. A dire vrai, il y avait fort peu de chance que cela se produise, puisque je n’avais pas fait attention à la rangée dans laquelle je m’étais engouffré. Mais vue les titres qui semblaient davantage concerner l’astronomie, et que mon devoir concernait l’histoire sociétale, la probabilité que je tombe sur quelque chose portant sur l’histoire des dormons semblait assez faible. Mais qui sait ? Quand je pense que je pourrais être en train de faire comme Betty en ce moment. C’est-à-dire faire la sieste sur mon lit. Quelle veinarde.

Je revins finalement bredouille de mon expédition, mais, on ne va pas se mentir, c’était complètement ma faute. Je m’apprêtais à me rasseoir sagement à ma table et à sortir mes notes de cours lorsque j’aperçus une solution salvatrice à mon problème en la présence d’une chevelure rousse. Une élève qu’il me semblait reconnaitre du cours de pratique des capacités des élus. Dire que je la connaissais serait certainement exagéré. Mais elle m’était familière, et c’était amplement suffisant à mes yeux pour ne pas me gêner pour m’incruster à sa table. Une fois mon sac récupéré à la hâte, je le posai plus délicatement que je ne l’avais fait précédemment avant de m’installer en face d’elle, avec un vague geste de la main en guise de salutation. Et tout ça le plus naturellement du monde.

C’était elle ou l’ennui –bon, ok, les révisions-, et c’était définitivement elle que je préférais.

«  Yo ! Rhlyka, c’est ça ? On a un cours ensemble. » Ou deux, peut-être. Bon, je suis pas trop con, j’ai pas une trop mauvaise mémoire et quelque chose chez elle la rend…plus intéressante que d’autres ? Et ce n’est pas JUSTE son joli visage, je ne suis pas SI superficiel. Donc ma question est plus rhétorique qu’autre chose, je suis sûr à 99% d’avoir le bon prénom…Mais j’espère vraiment ne pas m’être trompé parce que sinon, franchement…comment passer pour un con, technique d’approche ratée n°1. J’enchainai rapidement : « Qu’est-ce que tu fais ? » Mon sourire brillant et mon regard intéressé étaient sincères, vraiment. Mais ils n’en criaient pas moins pitié, distrais-moi, ne me renvoie pas à l’ennui !

En sortant de cours, ma première réaction est de me diriger vers les dortoirs. Je change cependant d’avis au bout de quelques pas, me rappelant que ma chambre désormais partagée n’est plus l’endroit d’isolement et de tranquillité auquel j’aspire en ce moment. Certes, Astraë n’est pas des plus bruyantes mais la perspective de devoir supporter sa présence, même silencieuse et dissimulée derrière un livre, ne m’enchante guère.  

Je me dirige donc vers la bibliothèque, généralement peu fréquentée en début de semaine. Sans hésitation je m’oriente vers la partie réservée aux romans. Les devoirs attendront, pour l’instant je n’ai envie que de me plonger dans un bon livre. Une fois l’ouvrage choisi, je m’installe à ma table habituelle, suffisamment loin de l’entrée pour ne pas être dérangée par les allées et venues des élèves mais assez proche d’une fenêtre pour profiter de la lumière, déclinante à cette heure, et de la vue sur les jardins intérieurs que traversent encore quelques-uns de mes camarades. Je constate, sans surprise mais avec mauvaise humeur, que quelque chose m’y attend. Posant mon livre sur le côté, je saisis entre deux doigts le petit morceau de papier rouge plié de sorte à former une plume. Si la réalisation est admirablement nette pour un origami de cette taille, elle ne parvient pas à m’impressionner suffisamment pour dissiper mon agacement envers celui qui l’a laissé là. Je jette un regard à la ronde, mais bien évidemment pas plus de trace du propriétaire que les fois précédentes. Agacée, je laisse choir le papier sur la table et reprends mon livre, bien décidée à me plonger dedans jusqu’à la fermeture de la bibliothèque.

Elle est encore bien loin, cette fermeture, quand je suis subitement interrompue dans ma lecture par l’arrivée d’un jeune homme.

- Sirius.

Je le salue un peu froidement, avec circonspection. Le télékinésiste du cours des Elus il me semble. Il a l’air sociable et son sourire qui me semble sincère me convainc de délaisser un instant mon occupation pour lui répondre.

- Je profite d’un peu de temps libre pour lire dans un endroit calme.

J’embrasse d’un regard son absence de livre et ses yeux qui me supplient presque de le distraire. J’en déduis qu’il doit essayer d’échapper à des recherches ou à un devoir – plus que commun dans ce lieu où l’on croise en permanence des étudiants fuyant les documents étalés devant eux, le regard perdu sur les rayonnages ou sur les jardins en contrebas – et qu’apparemment j’en suis l’opportunité.

- Et toi ? Quelque chose à rendre bientôt ?

J’accompagne ma question d’un sourire un peu forcé. Comme si sa réponse m’intéressait réellement ! Mais étrangement retourner à ma lecture me semble désormais moins pressant et j’estime que j’ai le temps d’échanger quelques mots.

L’accueil…disons mitigé de ma camarade n’est pas suffisant pour entamer mon enthousiasme. Il faut toujours voir le bon côté des choses : elle ne m’a pas envoyé balader. Du moins, pas encore. Et puis, je ne peux pas vraiment la blâmer, je suis clairement en mode parasite, à m’incruster auprès d’elle alors qu’elle était en train de lire tranquillement. Elle a même la gentillesse de faire semblant de s’intéresser à la raison de ma présence.

« Bah… » J’hausse les épaules et agite dédaigneusement la main en direction de mon sac. Ladite raison de ma présence dans la bibliothèque. Pour faire mon devoir concernant…c’était quoi, déjà ? Ah oui ! L’histoire sociétale. Ugh.

« Rien d’intéressant ! »

Inutile de s’y attarder, ma motivation pour étudier d’il y a une demi-heure est déjà loiiiiin. Et parce qu’on ne va pas se mentir, ça ne l’intéresse sans doute pas vraiment. Moi-même, qui suis le principal concerné, ça ne m’intéresse pas du tout.

« Enfin, dans tous les cas, pas aussi intéressant que toi. » Le tout accompagné d’un petit clin d’œil et d’un regard clairement exagérément- et faussement- suave.

Avec cette forme de mauvais flirt, je fais souvent face à deux réactions différentes. Si j’ai de la chance, la personne s’en amuse (parce que je l’avoue, c’est vraiment mauvais). Sinon…Eh bien, j’espère vraiment que Rhlyka ne me chassera pas de la table à coup de botte dans les fesses, surtout que cela m’obligerait à retourner à mon devoir, ce qui est de loin la chose que j’ai le moins envie de faire à présent. Globalement, c’était donc le rire ou le mépris, une chance sur deux. Car, malheureusement, non, cette technique ne marche pas.

Humour mis à part, ce que je dis n’est pas faux, le sujet que j’ai devant moi est bien plus digne d’intérêt. Elle-même, pour commencer, m’a l’air amicale malgré un accueil qui aurait pu être plus chaleureux (encore une fois, je ne la blâme pas, il aurait également pu l’être moins). Vient ensuite quelque chose qui ne cessera jamais de piquer ma curiosité lorsqu’il est question de mes camarades : son pouvoir. De manière générale, le fonctionnement des capacités de mes pairs a toujours été quelque chose de fascinant à mes yeux. Celui de Rhlyka ne fait pas exception.  Bien sûr, je suis lourd, mais pas inconsidéré au point de demander à quelqu’un que je connais à peine quelque chose comme…Hey, raconte-moi un peu…voir même, pourquoi pas une démonstration ?

Autant donc s’attarder sur autre chose. Avec un mouvement de tête et un regard appuyé, je lui désigne le morceau de papier rouge.

« Tu fais des origamis ? »

Je marque un temps d'arrêt face à sa réponse, hésitant entre un rire nerveux et un agacement plus naturel. Rares sont les personnes qui arrive à me déstabiliser en quelques mots à peine, je peux lui accorder ça. Et, une fois la surprise passée, je me surprends à apprécier son humour - c'est de l'humour n'est-ce pas ? - et décide de délaisser tout à fait ma lecture à son profit. Posant l'ouvrage que je tenais jusque là sur la table, je me penche légèrement en avant, feignant un intérêt particulier pour sa remarque précédente.

- Vraiment ? Cependant bien plus essentiel que moi à la réussite de ton année, je présume ?

Je laisse un léger sourire adoucir le ton sérieux que j'ai adopté, histoire qu'il ne pense pas m'avoir fâchée. D'une pichenette, j'envoie l'origami rouge de l'autre côté de la table, puisqu'il a l'air de s'y intéresser.

- Je sais faire quelques formes mais rien d'aussi complexe. Il était là quand je suis arrivée.

Comme les cinq précédents. Je ne peux m'empêcher de lâcher un soupir agacé en songeant que mon cousin a trouvé par là un moyen bien pratique de m'ennuyer sans que je puisse directement lui ordonner de me laisser tranquille. Il est vrai qu'avec mon pouvoir ses petits jeux se terminent habituellement bien vite et qu'il a fait pour une fois preuve d'une finesse admirable en évitant de se trouver à portée de voix.

Tu ne perds rien pour attendre Nathan.

Je l'ai pensé assez fort pour qu'il m'entende de loin - à l'époque où l'on se parlait encore il m'avait appris à le faire, une question de concentration et de volonté apparemment même si ça me donne surtout l'impression de crier stupidement dans ma tête - avant de me rendre compte que même s'il se trouvait dans les parages il ne pourrait pas entendre mes pensées. Un autre effet pratique de mon pouvoir, du moins tant que sa curiosité n'aura pas réussi à briser la contrainte que je lui ai imposée.

Je reporte mon attention sur Sirius, une compagnie bien plus agréable à mes yeux.

- Tu peux le prendre si ça t'intéresse, son propriétaire ne viendra pas le chercher.

Je doute qu'il soit réellement passionné par les origamis ceci dit, le naturel avec lequel il s'est incrusté à ma table et m'a adressé la parole me suggérant plutôt qu'il fait partie de ces gens capables de saisir le moindre détail pour lancer une conversation. En parlant de détails, ceux de sa présentation en cours me reviennent à l'esprit.

- Tu joues vraiment de la trompette ?

J'ai du mal à l'imaginer répéter calmement avec un instrument. A moins que la trompette  ne nécessite pas un calme particulier ou que l'impression que j'ai de lui ne soit totalement erronée. Toujours est-il que je le vois bien mieux sur une scène de théâtre que devant une partition.

Plus essentiel, plus essentiel…C’est vite dit pour un seul devoir. Je me contente d’un haussement d’épaule et d’un sourire, soulagé qu’elle ne se soit pas offensée de ma plaisanterie. A dire vrai, j’ai eu un peu peur l’espace d’un instant. Je lui épargne donc mon speech comme quoi il y a plusieurs types de réussites dans la vie, et qu’elle pourrait très bien être l‘une des plus belles de mon année, justement et blah blah blah. Ça m’arrive, parfois, de me rendre compte que je risque de devenir lourd. Mais c’est dur de se retenir. Vraiment.

Mon attention finalement reportée sur l’origami, je le saisis distraitement et hausse un sourcil face à sa réaction, surpris qu’un simple bout de papier (ou son propriétaire) l’exaspère. J’imagine qu’il doit y avoir une bonne raison. MAIS je me retiens d’essayer d’en savoir davantage. Elle ne meurt clairement pas d’envie d’en parler et je ne compte pas insister. Pour l’instant. Et peut-être que plus tard j’aurais oublié, ce qui est plus que probable, donc ce ne sera certainement jamais.

Tenu délicatement entre deux de mes doigts près de mon visage, j’observe plus attentivement le morceau de papier. Vu de plus près, c’est vraiment du beau travail, détaillé et plutôt élégant. Pas que je m’y connaisse en origami, je n’ai jamais eu suffisamment de patience pour ce genre d’activité manuelle minutieuse. D’ailleurs, en parlant d’activités pour lesquelles je n’ai jamais eu aucune patience, la question de Rhlyka est suffisamment étrange pour me déstabiliser.

De la trompette ? De quoi est-ce qu’elle parle ?... Bon, mon regard confus (à ce niveau-là, ce n’était même plus de la confusion, mais le vide intersidéral), même s’il n’a duré qu’un bref instant, m’a sans doute déjà grillé, j’imagine…Ou pas, va savoir.

Après un court moment du silence le plus complet venant de ma part, l’information arrive finalement jusqu’à mon cerveau pour que celui-ci fasse le lien avec le cours des élus (avec ce très cher M. Lacroix) et l’énormité que j’avais sortie à ce moment-là. Pour ma défense, je ne peux pas me rappeler de toutes les conneries que je sors, il y en a bien trop. Autre argument en ma faveur : on n’a pas idée de demander ce genre de choses aux élèves. Quelque chose d’insoupçonnable à notre sujet. Qu’est-ce qu’on est supposés répondre à ce genre de choses, franchement ? Certains autres élèves n’avaient d’ailleurs rien dit. Je me rappelle finalement de la réponse de Rhlyka elle-même, et peut-être aurais-je dû dire la même chose, tout compte fait. J’imagine que mon goût pour la lecture est certainement plus surprenant que celui de ma belle et studieuse camarade. Surtout en ce moment, où je suis clairement en train d’éviter de lire, justement (encore une fois, pour ma défense, les devoirs, c’est différent). Mais ce n’est peut-être qu’une impression, après tout. Peut-être est-elle moins sérieuse qu’elle ne le laisse paraître. C’est quelque chose qu’il me plairait de découvrir, tiens.

Bref, je souris en repensant mon mensonge (parce que non, il est évident que je ne joue pas de la trompette et oui, je me fais beaucoup rire moi-même), avant de finir par me décider sur ma réponse.

« J’ai certainement un peu… » Beaucoup. Carrément inventé. «…Exagéré la vérité ! »

La vérité étant que mon père m’a inscrit à un cours de piano quand j’avais 10 ans et que j’ai tenu les deux premières semaines de solfège. Il est évident que mon père ne m’a jamais vraiment compris. Maintenant j’ai deux options : dire la vérité ou bien…continuer à dire ce qui me passe par la tête.

« Quel dommage que je n’ai pas pensé à prendre ma trompette en venant ici. J’aurais tellement aimé te faire une démonstration… » Avec un soupir faussement déçu, je repose l’origami momentanément oublié sur la table. « Et on aurait pu faire un duo, je suis sûr que tu joues d’un instrument ! »

Prenant mes avant-bras sur la table comme appui, je me penche légèrement vers elle avec un sourire complice.

« Laisse-moi deviner, tu es une violoniste accomplie ? »

Je raconte clairement n’importe quoi, mais qui sait ? De ce que je sais d’elle jusqu’à présent, c’est-à-dire pas grand-chose, le fait qu’elle joue du violon reste probable !

Je hausse un sourcil étonné lorsque Sirius me répond. Il a clairement marqué un temps d'arrêt suite à ma question mais l'aplomb avec lequel il continue à jouer le jeu me convainc presque et je ne sais plus trop quoi en penser. Personne ne sortirais n'importe quoi avec un air si assuré, n'est-ce pas ?

Oscillant entre incrédulité et amusement, je me décide de me ranger à l'amusement. Décidément, Sirius est plus qu'intéressant, ou du moins il n'est pas aussi ennuyeux que la plupart des gens. Sa question me fait sourire malgré moi.

-Absolument pas. J'ai horreur de la musique, de manière générale.

La vérité est que j'avais bel et bien pris quelques cours, chant et solfège principalement, jusqu'à ce que mon troisième professeur parte en claquant la porte. Mes parents n'avaient jamais pris la peine de le remplacer - étaient-ils seulement au courant ? - et les cours de musique s'étaient arrêtés là, pour mon plus grand plaisir. J'avais détesté ces leçon, les jugeant inutiles et ennuyeuses à mourir et, pour être honnête, mon manque flagrant de talent dans le domaine m'avait également légèrement agacée.

-Mais effectivement, c'est dommage que tu n'ais pas pris ton instrument, je me serais peut-être enfin découvert un goût pour celle-ci.

J'aurais surtout apprécié voir la tête de la bibliothécaire si le silence de son domaine avait soudainement été brisé par des bruits de trompette. L'idée d'agacer des gens me plaît généralement, plus par ennui que par réelle malice, du moins c'est que je me dis.

En parlant d'agacer les gens, son pouvoir doit être bien utile pour cela. Pouvoir déplacer des objets dès que les gens ont le dos tourné devait être une source inépuisable d'amusement et une petite démonstration me tenterait. Cependant, lui demander de but en blanc de mettre en pratique son don ne me semble pas des plus approprié et j'opte pour une approche plus subtile, quoi que sans rapport avec la conversation en cours.

-Tu es télékinésiste, n'est-ce pas ? Comment est-ce que ça fonctionne exactement ?

Je me retiens de poser la question qui me brûle les lèvres : est-ce que ça fonctionne aussi sur les gens ? Nous sommes après tout constitués de matière, donc pourquoi pas ? Et j'aimerais savoir si ma tendance naturelle à agacer les gens risque un jour de me valoir une rencontre forcée et déplaisante avec une quelconque surface solide.

Me rasseyant au fond de ma chaise, sa réponse directe me fait sourire. Au moins, on est deux à ne pas être particulièrement intéressés par la musique et cela m’évitera à l’avenir de lui faire une réelle démonstration de trompette. Parce qu’il ne faut pas s’y méprendre, si on me demande une démonstration, je fais une démonstration. Dans ce cas-là ce ne serait pas grand-chose d’autre qu’un témoignage affligeant de mon incompétence, mais ce n’est pas ce genre de choses qui m’arrête. Bref, tout ça pour dire qu’on est tous les deux chanceux que je n’ai pas vraiment d’instrument à portée de main, ça nous aurait brisé les tympans autant à elle qu’à moi. Et aux autres, d’ailleurs…

« Je suis certain que ça t’aurait beaucoup plu ! Et ça aurait en-chan-tée Madame… » Attends, comment s’appelle la bibliothécaire, déjà ? Je suis sûr d’avoir entendu son nom à un moment donné…Non, en fait, j’en sais rien, au temps pour moi. J’agite brièvement la main dans la vague direction du bureau de la gardienne des lieux. Qui aurait adoré mon solo de trompette, quel dommage. Tout comme tous ceux présents dans les parages, ils ne savent pas à quoi ils échappent.

En parlant de réponse directe, ma camarade n’a apparemment aucun scrupule à poser des questions directes. Agréablement surpris et, je l’avoue, un peu impressionné par son audace, je laisse échapper un rire bref et hausse les épaules.

« Honnêtement, il n’y a pas grand-chose à en dire. Je vois des trucs, je les fais bouger. » D’accord, c’est un peu –beaucoup- réducteur, mais mon don n’a jamais été un sujet sur lequel j’aimais m’attarder. Mon niveau est toujours plus bas que ce que j’aimerais et ça m’agace prodigieusement. Cependant, je compte bien retourner la question à Rhlyka et pour ça, il faut faire preuve d’un peu de bonne volonté. Et puis, une petite démonstration fait toujours un peu de bien à l’égo.

Je pourrais faire voler le livre délaissé un peu plus tôt, mais je ne suis pas sûr qu’elle apprécierait vraiment que je touche à ses affaires. Ni la bibliothécaire, d’ailleurs. Mon regard se pose donc sur l’origami rouge, brièvement oublié. C’est un petit objet léger, donc ça me demande un peu de concentration. Mais le faire voler et virevolter un court instant avant d’atterrir doucement sur ledit livre de ma camarade n’est pas une tâche particulièrement difficile et je l‘accomplis avec un sourire satisfait avant de reporter mon attention sur elle. Ça n’a rien de réellement impressionnant, mais c’est efficace.

« Si je cherche à être précis, je dois me concentrer. Et plus l’objet est lourd, plus ça me demandera d’effort. » Il y a évidemment bien plus à en dire, mais je ne tiens pas à l’ennuyer avec les détails. Ni avec mes échecs.

Et puis, on ne va pas se mentir, la télékinésie me sert principalement à balancer des trucs sur les gens sans m’en faire accuser. Voir des personnes surprises et exaspérées chercher un responsable est assez distrayant, je dois le reconnaitre. En fait, c’est aussi drôle que de faire ça à quelqu’un qui sait que c’est moi. Mais qui ne peut pas vraiment le prouver. On s’occupe comme on peut.

« Donc si tu te prends quelque chose sur la tête pendant le cours, c’est que ce sera moi qui cherche à attirer ton attention ! » Je termine avec un clin d’œil, par principe.

Je n’avais pas particulièrement l’intention de lui fournir plus de détails, mais une idée me vient subitement et c’est plus enthousiaste que je ne l’aurais pensé à l’idée de lui prouver ce que je sais faire que je me penche de nouveau vers elle. Posant mon coude entre nous deux, contre la table, je lui tends ma main, paume levée.

« Je peux aussi te montrer ça. Pose ta main un peu au-dessus de la mienne. »

En attendant qu’elle s’exécute, je ne peux m’empêcher de lui demander, la curiosité et l’impatience prenant finalement le dessus : « Et toi ? Tu peux contrôler les émotions, c’est ça ? »

Il ne me semble pas que cela avait été ses mots exacts lors du cours, mais ça ne devait pas trop s’en éloigner.

Je lâche un sourire en constatant qu'il a apparemment pensé à la même chose que moi. Je jette un regard en direction de la bibliothécaire, pour l'instant inconsciente d'être passée à une présence d'instrument près de ce qui aurait été pour elle un incident majeur. Car j'ai l'impression que Sirius n'aurait pas hésité à exécuter la démonstration évoquée, véritable talent musical ou pas et je me surprend à ne l'en apprécier que davantage.

Sa description pour le mois laconique provoque chez moi un haussement de sourcil interrogateur. C'est en effet généralement ce qu'on entend par télékinésie mais ça ne m'aide pas beaucoup à en savoir plus. Je m'apprête à lui demander des précisions lorsqu'il se lance dans une démonstration qui me laisse sans voix. Ce n'est pas particulièrement impressionnant par rapport aux éventualités que j'avais envisagées mais ça reste surprenant, principalement parce que ça ressemble à de la vraie magie. Bien sûr, à force de vivre aux Manoir on se met à considérer comme communes des capacités extraordinaires et l'on ne s'étonne plus de grand chose mais le don de Sirius est tellement... comme dans les films. C'est tout ce qui me vient à l'esprit pour décrire ce qu'il m'inspire et je regarde virevolter avec un ravissement enfantin jusqu'à ce que la démonstration se termine. Pour un peu je lui demanderai de recommencer mais je me contiens. A la place, je pousse délicatement de quelques centimètres l'origami en écoutant la suite de ses explications, m'attendant presque à voir le bout de papier décoller de nouveau. Mais celui-ci a bel et bien retrouvé son comportement normal, c'est à dire rester sagement posé sur la surface le supportant, et l'espace d'un instant j'en suis déçue.

Je relève les yeux en entendant sa remarque qui implique une collision entre un quelconque objet et ma tête. Je ne suis pas certaine que j'apprécierais l'expérience, bien que ce soit effectivement une manière certaine de capter l'attention de quelqu'un.

- Ca serait certainement une manière très efficace de me donner l'envie de te prouver que la télékinésie n'est pas le seul moyen d'envoyer des objets sur les gens.

J'ai beau m'être exprimée sur un ton amusée, je n'en suis pas moins sérieuse concernant les représailles.

- Et puis tu viens de me montrer que tu as des moyens plus subtils à ta disposition.

Et plus discrets. J'ai du mal à imaginer le professeur du cours des Elus remarquer un objet voler de lui-même à travers la pièce sans se douter de l'origine de ce comportement. Ceci dit, j'aurais plus tendance à parier sur la patience du professeur que sur la volonté de Sirius à ne pas faire de vague en cours.

Toujours un peu inquiète, je l'observe tendre la main vers moi. Que veut-il faire ? Une démonstration sur un objet est une chose, mais là ça semble un peu trop m'impliquer. J'obtempère tout de même, plaçant prudemment ma main gauche - à tout hasard ne sacrifions pas la droite - au dessus de la sienne comme il me l'a demandé. Tout en effectuant ce geste je m'efforce de répondre à sa question.

- Je n'ai peut-être pas été entièrement honnête sur la description de mon pouvoir pendant le cours. Disons que je dis des choses et que les gens ont tendance à les suivre, comme s'il en avaient soudainement très envie. Mais je peux en effet suggérer de ressentir une émotion, ça fonctionne parfois. Une démonstration serait certainement plus parlante...

Je m’interromps. Ca m'était complètement sorti de la tête mais j'ai déjà usé de mon pouvoir sur lui - enfin, ce n'était pas dirigé que vers lui, disons qu'il était dans le lot - lors de ma présentation. Je commence à me rembrunir. C'est pour ça qu'il est là, à me parler, n'est-ce pas ? Devenons amis. Pas étonnant que je trouve si sympathique alors que je l'y ai surement forcé. Cette idée me cause un étrange déplaisir, pourtant ce n'est pas comme si j'avais habituellement des états d'âme à ce sujet.

- Sirius, par rapport à ce que j'ai dit en cours... Ne te sens pas obligé d'être mon ami.

Je le fixe avec sérieux, ma main maintenant à quelques centimètres au-dessus de la sienne. Une suggestion pour en effacer une autre, c'est le meilleur moyen que j'ai à ma disposition, même si cette méthode n'a pas toujours fait preuve d'une grande efficacité.

Mon sourire s’agrandit suite à sa réponse. Plus subtil, plus subtil…mais beaucoup moins marrant ! Si elle pense que sa menace me donne moins envie de lui balancer peu discrètement des trucs dessus, elle se trompe lourdement. Et rien que d’imaginer la possibilité de représailles venant de sa part…ça ne fait que m’encourager, j’ai l’esprit de contradiction.

Je l’écoute attentivement tout en l’observant exécuter ma demande. Je suis d’abord…mitigé. J’oscille entre l’effarement, la curiosité et…un peu d’amusement, je dois l’admettre. Les deux premiers sont simples à expliquer, son don est effrayant quand on y pense. Avoir autant de pouvoir sur les personnes qui l’entourent, savoir qu’on peut être manipulé aussi facilement… Ça a une dimension angoissante. L’idée que notre esprit puisse être contrôlé sans même qu’on s’en rende vraiment compte est extrêmement inconfortable. Mais elle n’est pas nouvelle. En vivant au manoir, on s’habitue au concept que certaines personnes possèdent des capacités plus ou moins dangereuses. Certains dons nous mettent mal à l’aise, d’autres nous impressionnent, ou encore nous font rire. D’ailleurs, en y réfléchissant, la possibilité qu’a notre camarade Nathan de lire nos pensées n’est pas moins perturbante que celle de Rhlyka. Mais ce sont des choses auxquelles on peut s’habituer. C’est une question de confiance, d’accord tacite entre tous. Nathan pourrait révéler toutes nos pensées à qui il le souhaite, mais il ne le fait pas (pas que je sache, en tout cas. Ceci dit, s’il lit mes pensées pendant le cours qu’on a en commun, il ne va franchement pas lire grand-chose, hein). Mais, au-delà de l’inconfort, son don n’en reste pas moins fascinant. Il y a tellement de possibilités, de limites et d’éventualités à envisager.

Ce qui décide finalement de ma réaction est qu’elle m’ait dit la vérité aussi simplement. C’est peut-être naïf de ma part, mais c’est assez flatteur qu’elle me parle de ce qu’elle peut faire tout en m’avouant qu’elle a déjà menti à la classe à ce sujet. Ça et l’envie d’en apprendre plus sur elle. J’attendais avec impatience la démonstration promise lorsqu’elle me demanda l’une des choses les plus étranges que je n’ai jamais entendues. Je marquai un temps d’arrêt avant de réaliser que c’était une démonstration. Pour ma défense, je ne me rappelle pas de tout ce qui a été dit ce cours-là, mais oui, le fait qu’elle ait dit quelque chose du genre sonne vaguement familier. Je reste incrédule un instant, me demandant si j’avais bien fait la connexion entre ses propos, si c’était vraiment un témoignage de ses capacités. Mais finalement, je décide que ça n’a pas tellement d’importance. Ma réponse resterait la même.

« ...Ça marche. » Mon attention se porte sur nos mains toujours tendues, à quelques centimètres l’une de l’autre. J’essaye d’être le plus délicat possible lorsque j’abaisse sa main dans la mienne d’un regard. J’avais initialement prévu un contact un peu plus brusque, mais je ne sais simplement pas comment bien me contrôler lorsqu’il s’agit d’user de ma télékinésie sur quelqu’un. Mieux vaut être trop doux que de risquer de blesser.

Je laisse mes doigts envelopper sa main, la serrant brièvement et ainsi scellant mon accord de tantôt à sa demande (ordre ? Suggestion ?), avant de la relâcher complètement. La courte solennité du moment m’abandonne et mes lèvres s’étirent dans un sourire plus espiègle. « Même si je ne suis pas sûr de pourquoi j’aurais besoin de me sentir obligé de devenir ami avec ma belle et fascinante camarade. »

Je lui dis ce qui me passe par la tête et j’en fais certainement un peu trop, mais ça n’en reste pas moins sincère. Je ne sais pas si ma déduction est bonne, si elle a vraiment dit quoi que ce soit qui aurait pu me pousser à me rapprocher d’elle (son pouvoir marche-t-il vraiment comme ça ?), mais je n’aime pas la voir subitement si sérieuse, si…fermée, elle qui souriait il y a à peine un instant. Je n’en oublie pas moins ma mission d’en apprendre plus.

« Est-ce que tu le contrôles ? Les personnes sur lesquelles tu l’utilises réalisent qu’ils sont sous ton influence ?»

Quant à l’amusement que sa déclaration me procure…

« Tu as vraiment usé de ton don en cours ? Devant le professeur de pratique des capacités ? »

Rien que d’y penser, de penser à l’audace pure que cela demande, ça suffit à me faire rire. Pour ma part, je ne suis même pas certain que j’oserais réellement me servir de ma télékinésie en présence de monsieur Lacroix, malgré ma menace de tout à l’heure. Bon, je finirais certainement par en arriver-là et, après tout, ne pas se faire chopper par le prof est un défi en soi. Mais je suis vraiment curieux, ce qu’elle avait dit ce jour-là, l’avait-elle vraiment dit en usant de son don ? Je ne lui ai pas menti, je ne me suis pas senti obligé de quoi que ce soit. J’ai eu envie de faire sa connaissance et aujourd’hui, j’en ai eu l’occasion. Peut-être que sa suggestion y était pour quelque chose, mais cela ne m’a pas semblé être une envie irrationnelle.

Je regarde avec incrédulité ma main s'abaisser sans que ma volonté ait quoi que ce soit à voir dans ce geste. C'est une expérience fascinante, quoi qu'un peu inquiétante. Savoir que son corps peut être contrôlé indépendamment de toute volonté n'est pas des plus rassurant, et je me demande jusqu'où il pourrait aller. Pourrait-il contrôler entièrement quelqu'un, en faisant une sorte de marionnette impuissante ? Voilà pour une fois une question que j'ai peur de poser.

Je pense enfin à recommencer à respirer lorsqu'il serre ma main, me sortant de l'état contemplatif dans lequel sa démonstration m'a plongée. Je détache mon regard de nos mains avec hésitation pour le reporter sur son visage. Son sourire et sa remarque me font vite oublier mon inquiétude : difficile d'être réellement angoissée face à une situation si peu sérieuse. Je lève les yeux aux ciel en réponse à ses mots, même si je ne peux m'empêcher de laisser échapper un sourire amusé. Sirius a apparemment un don pour mettre les gens à l'aise, capacité que je ne partage pas mais que j'apprécie d'autant plus.

Sa question me fait reprendre mon sérieux. Nous y voilà, c'est précisément ce que chaque personne craint : la possibilité de ne pas savoir qu'on est manipulé. Pour ma part je ne vois pas grande différence entre avoir conscience ou non du phénomène, tant qu'on y est soumis le résultat reste le même et il est peut-être pire de savoir qu'on perd le contrôle.

- Ca dépend beaucoup des gens et de ce qu'ils veulent. Je ne peux pas faire une suggestion qui va à l'encontre d'une volonté forte, dans le meilleure des cas les gens s'en rendent compte et s'en débarrassent rapidement, sinon ça n'a tout simplement pas d'effet. Mais si c'est suffisamment subtil ils peuvent ne jamais s'en douter, surtout s'ils ne connaissent pas mon pouvoir.

Je souris, pensant que mon don est définitivement moins effrayant que le sien, à bien y réfléchir. Mes suggestions restent soumises à la volonté, même inconsciente, de leur cible tandis que je ne suis pas certaine qu'on puisse résister à sa télékinésie.

- Finalement je ne fais qu'accompagner les désirs d'une personne. Je peux faire pression dans un sens mais jamais au points de rompre les limites propres à chacun.

La difficulté consiste justement à connaître ces limites pour ne pas faire n'importe quoi. Un ordre un peu trop impérieux et ce qui serait un léger pas en avant pour l'un pourrait se transformer en un saut d'une falaise pour l'autre. Deux accidents m'ont amplement suffit pour retenir la leçon et apprendre à mesurer mes paroles.

Sa question suivante me fait hausser les épaules.

- Bien sûr, c'est la première chose que j'ai fait en arrivant. Et plus que devant lui, je dirais que je l'ai utilisé sur lui. Ca n'a pas vraiment fonctionné comme prévu ceci dit, je suppose que je n'ai pas un niveau suffisant pour influencer quelqu'un d'expérimenté.

Je lui lance un sourire espiègle.

- Ne me dis pas que tu as peur du prof ?

C'est de la pure provocation, éventuellement accompagnée d'un brin de ressentiment envers le professeur. Mais peut-être que je viens de trouver en Sirius un parfait allié pour égayer un peu son cours.

Je l’écoute attentivement et, je dois bien l’avouer, sa réponse est un soulagement. Je ne suis pas d’une nature inquiète, mais...ça reste rassurant de constater que tout pouvoir, même ceux comme celui que possède Rhlyka, a des limites. A vrai dire, je suis davantage curieux que perturbé, à présent. Ses explications ne font finalement que soulever de nouvelles interrogations. Qu’est-ce qu’une volonté forte par exemple ? Elle ne peut pas expressément suggérer quelque chose de trop extravagant, mais avec suffisamment de temps, pourrait-elle parvenir à conditionner quelqu’un ? Un don comme le sien…Ça n’a pas dû être simple d’en tester les limites et d’apprendre à les repousser. Je regrette de ne pas avoir été attentif à elle plus tôt dans notre scolarité, voilà une évolution que j’aurais aimé voir de mes propres yeux.

Sa dernière question me sort de mes élucubrations. J’hausse les sourcils et en reste bouche bée un instant, surpris…choqué, que dis-je, offensé !

En guise de mise en garde plus ou moins sérieuse (davantage moins que plus, évidemment), je pointe mon index vers elle. « Woh woh ! Tout de suite les grands mots, ne m’insulte pas, s’il-te-plait ! » Je rabaisse finalement ma main avec un petit rire.

« Nooon, je ne dirais pas que j’ai peur de lui… » Quelle idée, franchement ! « …Mais entre avoir peur de lui et carrément utiliser mon pouvoir sur lui, il y a quand même une…disons, une certaine marge, quoi. »

Honnêtement, c’est à grand-peine que je me retiens de lui demander ce qu’elle a bien pu lui dire. Et s’il s’en est rendu compte. Je croise les bras et finis par hausser les épaules.

« Si ça n’a pas marché sur le prof, c’est peut-être que tu n’as pas été assez subtile…La prochaine fois, suggère lui gentiment de nous laisser sortir quinze minutes plus tôt ! » Quoi ? Je la taquine, mais ça vaut aussi le coup de le tenter !

Un peu plus tôt, je songeais à ce que j’aurais aimé pouvoir observer du développement de ses capacités et cela me fait penser…

« D’ailleurs, au final, je n’ai pas vraiment eu de démonstration ! Alors pourquoi pas une anecdote ? » J’ai besoin d’un court instant pour réfléchir, pour la simple et bonne raison que si je m’écoutais, j’aurais à peu près un millier de questions à lui poser et le but n’est vraiment pas de la faire fuir. « Dis-moi…De quelle réussite es-tu la plus fière ? » Concernant l’utilisation de son pouvoir, cela va sans dire.

Je me rappelle vaguement avoir entendu le prof de capacités poser une question presque similaire au groupe dont elle faisait partie durant le cours. Malheureusement, groupe dans lequel je n’étais pas. Ce qui est vraiment dommage, parce que leurs réponses m’auraient vraiment intéressé. Tant pis, l’occasion m’est maintenant donné d’au moins demander sa réponse Rhlyka. D’ailleurs, maintenant que j’y pense, elle m’a elle-même dit qu’elle n’avait pas été honnête au début de ce cours (devant le prof, encore une fois. Cette fille a définitivement des…hm, elle a de l’audace, quoi). Mais la question de pose donc : l’avait-elle été après ça ?

Je laisse à mon tour échapper un rire devant les protestations de Sirius.

- Je doute que le prof soit du genre à accepter de se laisser convaincre. Il a l'air d'avoir un grand sens moral, sinon il n'aurait pas évité de lire nos dossiers. On ne peut rien faire des gens comme ça.

Je hausse les épaules pour marquer mon dédain. Même si sur le coup les valeurs du professeur m'ont bien arrangée, je trouve les gens de son espèce parfaitement ennuyeux. Trop prévisibles, certainement. Je préfère de loin ceux qui n'hésite pas à transgresser les règles, surtout si c'est juste dans le but de s'amuser.

- Mais je suis certaine que quelques fenêtres brisées seraient suffisantes pour nous accorder une sortie anticipée.

Et quelques heures de colle pour lui, certainement, mais c'est son idée après tout. Et puis je suis presque certaine de pouvoir l'en faire sortir rapidement, du moins si Aramon n'est pas non plus en charge de surveiller les élèves en retenue.

Je me renfrogne face à sa question suivante. Mes expériences passées ne sont pas mon sujet de prédilection et je préférerais clairement écarter la question. Mais Sirius attend une réponse, aussi je prends le temps de réfléchir à ce que je pourrais bien lui raconter. En cours des élus j'ai évoqué le sort d'une infortunée camarade de chambre, une histoire qui ne m'a pas attiré grande sympathie mais qui avait le mérite de faire comprendre aux personnes présentes que je n'étais pas de nature à plaisanter. Cette solution ne me semble cependant pas la meilleure, d'une part parce que je ne sais pas si la victime en question a un quelconque lien avec Sirius et d'autre part parce que mon échec cuisant face à la présence d'Astraë me reste encore en travers de la gorge. Pas de quoi être vraiment fière donc.

Je passe une main dans mes cheveux, un geste nerveux que je n'avais pas effectué depuis des années, tout en ayant parfaitement conscience que le silence commence à s'étirer dangereusement. Qu'est-ce que je vais bien pouvoir lui raconter ? Soudain, une idée me vient, me faisant instantanément retrouver le sourire.

- Plutôt qu'une réussite impressionnante, si je te racontais quelque chose d'utile ? Tu vois la personne à l'accueil qui est chargé de surveiller qu'on ne sorte pas trop tard, le vendredi soir ? Eh bien, il se trouve que les chocolats sont sont péché mignon. Bien sûr, ce n'est pas dans les règles du Manoir d'accepter de détourner le regard en échange d'un petit cadeau, mais je peux me montrer très persuasive.

Du moins, quand la personne en face de moi n'a que peu d'intérêt pour son travail et n'a visiblement pas conscience des risques que pourrait représenter un jeune kinésiste dans la nature durant l'happy hour.

- Donc si jamais tu as besoin de t'échapper de l'établissement le temps d'un soir, fais-moi signe.

Maintenant que j'ai efficacement contourné la question épineuse, je n'ai plus aucun problème à lui renvoyer.

- Et toi ? Je suppose que tu as plein d'anecdotes à raconter sur ton pouvoir.

Ca m'étonnerait qu'il ne s'en soit pas déjà servi au dépend de quelques personnes. Je m'attends déjà à connaître l'identité d'une première victime.