[Event pandémie] [OUVERT] Rêve apocalyptique, cauchemar éveillé.

La nouvelle venait tout juste de tomber. A partir de ce jour-ci, le Manoir était forcé de fermer ses portes. L’accueil des élèves ne pouvait donc se faire. Cela signifiait un renvoi expéditif à l’envoyeur. La pandémie devenait trop importante, et risquait de toucher bien trop de monde. Du moins, c’est ce que la jeune fille avait compris, d’après les informations lancées. Dans l’entrée du Manoir, ils étaient bien nombreux à rester bouche bée. Retour à l’envoyeur ? Mais comment ça ? Dans la bouche de certain, cela paraissait impossible. Dans celle d’autres, cela semblait être la meilleure nouvelle qu’on ait pu leur annoncer. Un amas de conversation s’était formé, couvrant toute réelle prise de parole. Pourtant, une seule émotion se trouvait universelle, en cette situation pour le moins inhabituelle : le choc. Un réel choc. Qui diable pouvait réellement s’y attendre ? Les bruits courraient, certes. Mais aux yeux de tous, cela relevaient plus d’un espoir désespéré. Désormais, c’était réel. Il ne s’agissait plus d’un simple souhait irréaliste, d’une idée relevant pour les uns de l’utopie, et les autres de la dystopie.
Les élèves se bousculaient, l’entrée du Manoir c’était véritablement transformée en un lieu de presque chaos. La réelle question était : est-ce que les élèves comprenaient bien la bombe qui venait d’être lâchée ?
Au milieu de la foule, la jeune asiatique se posait mille et une questions. La fermeture du Manoir signifiait pour elle un retour obligatoire chez ses parents. Cependant, les choses se complexifiaient ici. Issue d’une famille venant de l’autre bout de la Terre, elle avait bien du mal à ne serait-ce que s’imaginer comment elle pourrait bien y retourner. Des airs de fin du du monde planaient. Comment était-ce possible ? Elle observait tout autour d’elle, paniquée, cherchant presque un visage qui pourrait la rassurer tant bien que mal. Les choses étaient compliquées. Le Manoir fermait pour une durée indéterminée, et beaucoup n’avaient aucune idée de comment retourner chez eux, et d’autres n’avaient alors même pas de chez-eux. Humainement parlant, il était impossible de laisser des mineurs sur le banc de touche. Lorsque le soulagement envahissait l’âme de certains, la panique venait tétaniser les muscles de l’adolescente.
Personne ne semblait savoir quoi faire, quoi dire. Tous semblaient réfléchir. Aux plans qu’ils pourraient bien réaliser, pendant ces vacances exceptionnelles, ou bien à d’autres choses bien plus graves. L’adolescente ne pouvait s’empêcher de penser que c’était dans ces temps là, que le monde avait besoin de leaders. Ou peu-être même juste de quelqu’un capable de faire semblant de savoir quoi dire, comment agir.

Jeanne se tenait, comme beaucoup élèves, debout dans le hall d’entrée. Placardé sur le panneau d’affichage, un document rédigé par l’administration annonçait la fermeture de l’école le temps qu’un remède soit trouvé pour la maladie qui touchait les kynésistes. Cela pouvait être dans une semaine, dans un mois, dans un an… Ou jamais, la possibilité n’était pas à écarter.

Jeanne était plantée au beau milieu du hall et elle gênait les gens qui le traversaient. Elle s’était bousculée à trois reprises, mais elle s’en fichait. La veille, elle s’était rendue dans les jardins. Parce que c’était enfin le printemps, parce que ses pouvoirs revenaient enfin à leur plein potentiel et parce qu’avec l’accord de Maximilien, elle avait gardé son petit bout de jardin, et qu’elle voulait y faire pousser de la menthe. Elle avait à peine réussi à faire émerger une tige de la terre, et malgré toute la concentration du monde, une seule minable petite feuille avait poussé. Sous le coup, elle s’était rassurée en se disant qu’elle était sûrement rouillée. Elle s’était dit qu’une bonne nuit de sommeil allait la requinquer et que tout irait mieux le lendemain. Mais ça n’allait pas mieux. Absolument pas.

Alors qu’elle se décalait enfin pour ne pas se faire bousculer une quatrième fois, elle ignora royalement les papillons bleus qui apparaissaient par intermittence devant ses yeux et elle se dirigea vers Daiya, qu’elle avait reconnu dans la foule. La jeune élue avait l’air paniqué. Jeanne n’en menait pas plus large, mais elle alla tout de même la voir, pour tenter de dire quelque chose de rassurant.

- Daiya, appela-t-elle doucement, touchant l’épaule de la jeune fille pour attirer son attention. C’est rassurant de voir un visage familier dans ce chaos.

Jeanne sourit alors chaleureusement à Daiya, bien que le cœur n’y était pas vraiment…

Aleandro contemplait le hall, un papier à la main et une moue agacée plaqué sur le visage. On avait bien fini par le mettre à contribution - c'était à prévoir, il n'aurait pas pu échapper indéfiniment à la folie ambiante - et malgré ses protestations il avait bien dû rendosser son rôle d'encadrant. Mais comment allait-il bien pouvoir coller ce fichu papier sur le panneau d'affichage alors qu'une foule d'élève lui faisait barrage ? En soupirant, il commença à se frayer un passage parmi les élèves agglutinés, mettant à profit ses nombreuses expériences des bars bondés pour efficacement bousculer ceux qui se trouvaient en travers de son chemin.

Tant bien que mal, il finit par atteindre son but et y plaqua fermement l'annonce, résistant à la pression des étudiants avides de nouvelles informations suffisamment longtemps pour pouvoir épingler la feuille. Il se laissa ensuite dériver jusqu'à ce que les mouvements de la foule finissent par l'expulser du cercle. Et ce, sans frapper aucun élève. Plutôt fier de sa retenue, il s'éloigna en hâte, prenant résolument la direction du toit où il comptait se cacher quelques heures, juste au cas où une autre tâche urgente requerrait ses services.

Tout de même, songea-t-il en rasant les murs dans l'espoir qu'aucun membre du corps enseignant ne le remarque, cette annonce était pour le moins déroutante. Apparemment l'un des parents d'élève mettait à disposition un logement pour tous ceux qui n'auraient pas la possibilité de vivre autre part pendant la période de fermeture de l'établissement. Qui possédait une maison capable d’accueillir autant de jeunes ? Et surtout, qui serait assez fou pour s'imposer leur présence ? Il haussa les épaules en accélérant le pas : cela ne le concernait pas, pour sa part il serait bientôt débarrassé des étudiants surexcités et il ne s'en porterait que mieux.

Le hall est en effervescence aujourd'hui. De mauvaises nouvelles apparemment à voir la tête de certains des élèves, mais impossible d'en savoir plus tant que le panneau d'affichage sera entouré par tant de gens. Je patiente, une fois n'est pas coutume, attendant que la foule commence à se disperser, quand l'arrivée d'un nouveau protagoniste attire mon regard. Le professeur de techno - je ne me rappelle plus de son nom, quelque chose d'italien il me semble - est en train de se frayer un chemin jusqu'au panneau avec, je dois le dire, un certain brio. Il a tout juste le temps d'y afficher une nouvelle note que la foule d'étudiants redouble d'intérêt et le rejette sur le côté. De nouvelles informations ? Allons bon, on dirait que je vais devoir patienter encore un moment.

Je m'apprête à abandonner - autant revenir plus tard, quand tout se sera calmé - quand un jeune étudiant se dirige vers moi et se met spontanément à me remercier chaleureusement. La chose est si rare, inédite même, que je reste bouche bée, ne sachant quoi répondre. Entre deux phrases exprimant sa reconnaissance, je comprends quelque chose à propos d'un logement, ainsi que de mes parents. Je reste tétanisée alors que je prends lentement conscience de la situation. Non ? Mes parents n'auraient pas osé... ? Les quelques élèves qui expriment à leur tour leur gratitude - le premier est déjà loin, surement parti répandre la "bonne" nouvelle - achèvent de me convaincre. Partagée entre un sentiment de panique et une rage folle, je me saisi de mon téléphone dans l'intention d'appeler mes parents, et tombe comme d'habitude sur leur messagerie. Je me contente d'un rapide texto assassin à ma mère avant de fermer les yeux pour prendre une grande inspiration. C'est un rêve n'est-ce pas ? Ou une forme de délire. Peut-être les fameuses hallucinations causée par la maladie, ça serait encore préférable à la situation actuelle.